PubGazetteHaiti202005

Après Vertières: Haïti, épopée d’une nation de Jean Claude Bruffaerts -Jean Marie Théodat

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Il y a des livres que l’on doit considérer comme étant des livres de chevet, tant ils nous donnent des munitions de connaissance à la compréhension d’une époque, ou carrément la clef de l’histoire qui se fait sous nos yeux. Ainsi il s’agit de deux livres publiés par le tandem Jean Marie Théodat et Jean Claude Bruffaerts. Vous les mettez côte à côte, vous avez non seulement un prisme historique de l’histoire d’Haïti, mais aussi une approche historiographique tout à fait originale sur les épopées de 1803, notamment la bataille de Vertières. 

Ce n’est pas un gros livre, mais ce qu’il contient, permet de faire une immersion totale dans notre histoire, particulièrement dans cette fameuse bataille de Vertières. D’ailleurs même les historiens ont encore du mal à comprendre l’incontestable victoire de l’armée indigène.
Si vous avez lu le rapport Makau, il y a deux années déjà de cela vous apprécierez sans aucun doute « Après Vertières ». Décidément le tandem Jean Claude Bruffaerts et Jean Marie Théodat fonctionne bien. Leur nouveau livre n’est ni plus ni moins d’un point de vue de trajectoire historique, la suite du rapport Makau. Celles et ceux qui n’ont pas lu le rapport de l’amiral Makau peuvent se rattraper, car il y a matière à tout point de vue. 
Cette fois, les deux auteurs nous ont conviés à visiter nos archives qui malheureusement pour la plupart sont en France et non dans notre malheureux pays. Ce livre en est une flagrante description, tant et si bien qu’il contient plus d’une dizaine d’archives, pour un livre de 115 pages. 

D’emblée, la préface signée du professeur des universités et de Sciences Po Paris, Bertrand Badie, ne constitue pas ici un exercice routinier. Au contraire, il apporte à l’ouvrage des éclairages de tout premier plan et nous incite à y pénétrer: « À peine celui-ci révélé, un deuxième trait fondateur vient à s'imposer: il tient à cette ambiguïté fondatrice qui marque l'insertion du nouvel Etat dans le jeu international. Nos auteurs montrent avec conviction combien un Etat qui devient souverain dès la capitulation (ou la reddition ?) de l'ancien colonisateur n'entre pas pour autant dans le club fermé des anciens, ne ressemble pas mécaniquement aux autres, ceux qui appartenaient déjà au « vieux monde. Haïti subit les affres d'une reconnaissance incertaine, aussi peu institutionnalisée que possible, ouvrant la voie à des formes fragiles et factices d'indépendance. Les troupes françaises, pourtant vaincues, tardent à partir tandis que domine clairement l'impression que le vrai jeu international continue à se composer ailleurs, même totalement en-dehors ... Une telle pratique n'est-elle pas, elle aussi, énonciatrice de façons d'être et de faire, un siècle et demi plus tard, notamment en terres africaines à peine émancipées?»

Il faut dire que la bataille de Vertières, l’ultime qui avait consacré la déroute de l’armée Napoléonienne en terre Saint Dominguoise est l’objet d’analyses particulièrement cadencées couplées avec des archives issues de l’armée française, basée à Vincennes banlieue parisienne. Comme pour justifier chaque analyse versée dans ce travail, les deux auteurs ne s’en cachent pas et justifient ce prisme analytique par le fait qu’ils veulent établir des cohérences entre quatre documents traitant de ce dossier. C’est complètement jubilatoire. Les pages 13, 14, 15, 16 résument bien l’objet de ce livre. Le constat qui a prévalu à la publication de celui-ci est magistralement bien étayé. Les deux auteurs ont apporté des munitions de compréhension tout à fait originales.

Certains historiens affirment avec la foi du charbonnier qu’il n’y avait à Vertières ni vainqueur ni vaincu, car il y manque l’acte de reddition de la France vaincue, sombrée dans une incontestable déroute devant l’armée composée des esclaves. La-dessus Jean Claude Bruffaerts et Jean Marie Théodat sont partis à la recherche de la vérité historique. Celle-ci relative à la copie de l’acte de l’indépendance, bref voici ce que les deux auteurs écrivent : « Les archives de l'Armée française à Vincennes conservent du document originel une transcription faite de mémoire et certifiée conforme, rédigée en 1811 et signée par Rochambeau; nous l'appellerons « version française de Vincennes». Cette version nous a servi de témoignage côté français; elle ne parle pas de capitulation, mais d'évacuation. Le document en la possession d'Haïti Patrimoine est une copie manuscrite également signée par Rochambeau. Le papier utilisé est de facture britannique, ce qui laisse supposer que le document a pu être écrit à bord d'un navire de guerre anglais au bord duquel le général Rochambeau était prisonnier. C'est donc en position de captif que Rochambeau aurait signé cette copie de l'acte d'évacuation mettant un terme définitif à la présence française au Cap-Français. Deux autres documents sont ici cités à l'appel: les transcriptions faites par les historiens haïtiens Thomas Madiou et Beaubrun Ardouin. »

Cette simple question apparemment banale constitue pour autant une question historique d’une telle intensité que des historiens ont consacré des livres à celle-ci. D’où son importance capitale pour les historiens. En tout cas, les deux auteurs ont exploré par des rappels historiques étayés par des arguments comparant tout simplement les faits de l’histoire: « Nous avons minutieusement comparé ces versions et souligné leurs différences, qui éclairent sur les divergences de vue que chaque parti avait de Vertières et de ses conséquences sur l'histoire à venir. »
On ne verra jamais la fin de ce débat sur cette question. Capitulation, reddition, acte de l’indépendance, les versions qui diffèrent d’une version à l’autre. La radicalité de la séparation, surtout cette victoire militaire inattendue des esclaves sur l’une des plus grandes armées du monde n’a pas arrangé les choses dans la fixité des termes historiques sied à cette révolution. Les premiers pas des généraux haïtiens à la tête de l’Etat prouvent si besoin est, diriger un Etat, qui plus est issu de l’esclavage demande un savoir-faire que nos ancêtres n’en possédaient pas de toute évidence. C’est ce qui constitue la singularité de notre situation. Ce camouflet infligé à une armée européenne trouble encore le sommeil de la France. Ce d’autant plus que celle-ci continue d’appliquer la recommandation du Général Pamphile  de la Croix[1], un participant, témoin privilégié de la débâcle française à Saint Domingue : « La France doit tout faire pour faire oublier la révolution haïtienne de 1803 »      
 

Préface de Bertrand Badie
Postface de Yanick Lahens
Editions Maisonneuve et Larose Hémisphères, 
2023 117 pages. 

[1] acroix (Général Pamphile de) : La révolution de Haïti. Texte intégral de l'édition originale. Édition présentée et annotée par Pierre Pluchon [compte-rendu]
sem-link Bodinier Gilbert
Outre-Mers. Revue d’histoire Année 1996 312 p. 118

 

 


Par Maguet Delva

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