PubGazetteHaiti202005

De zone sanctuaire à territoire perdu : plus de 31 000 déplacés, le Centre d'Haïti meurt lentement

@Dieugo André

Le département du Centre, autrefois perçu comme un lieu de refuge sûr pour les déplacés internes, notamment en provenance de Port-au-Prince, est aujourd’hui submergé par la violence armée. Depuis le 31 mars 2025, plus de 31 000 personnes ont été forcées de fuir leur domicile, provoquant une crise humanitaire majeure, selon les données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), recueillies entre le 31 mars et le 5 avril.

La paix qui régnait dans certaines zones du Centre d’Haïti n’est plus qu’un souvenir lointain. Depuis la fin du mois de mars, les communes de Mirebalais et de Saut-d’Eau sont la cible d’attaques armées répétées, plongeant les populations locales dans la peur, le chaos et « l’exil »

Les violences s'abattent sur plusieurs sections communales : à Saut-d’Eau, les 1re, 2e, 3e et 4e sections (Rivière Canot, La Selle, Coupe Mardi Gras, Montagne Terrible) ; et à Mirebalais, les 3e et 4e sections (Grand Boucan, Crête Brûlée). Des zones sont devenues de véritables champs de bataille entre groupes armés et, parfois, des civils épaulés par les forces de l’ordre.

Le dernier rapport de l’OIM, publié le 6 avril, fait état d’un bilan alarmant : 31 586 personnes déplacées, réparties dans 6 324 ménages. La grande majorité d’entre elles (96 %) sont restées dans le département du Centre, trouvant refuge dans d’autres communes comme Lascahobas (27 %), Boucan Carré (25 %), Savanette (18 %) et Hinche (11 %).

Environ 2/3 des déplacés sont accueillis par des familles hôtes, mais 34 % — soit 10 637 personnes — ont dû s’installer dans 50 sites spontanés nouvellement créés. À elle seule, la commune de Boucan Carré héberge 19 de ces sites, accueillant près de 7 800 personnes dans des conditions précaires, sans accès suffisant à l’eau potable, à la nourriture ni aux soins médicaux.

Sur le terrain, les scènes sont insoutenables. À Mirebalais comme à Saut-d’Eau, les rues autrefois animées sont aujourd’hui désertes. Des cadavres en décomposition, abandonnés faute de moyens ou de sécurité, jonchent certaines zones. L’odeur de mort plane sur ces localités qui, il y a peu encore, accueillaient des déplacés venus d’autres régions plus touchées.

Malgré quelques efforts locaux pour repousser les assauts, la riposte reste faible face à l’ampleur de la menace. Les autorités municipales, dépassées, lancent des appels désespérés à l’aide nationale, restés sans réponse à la hauteur de la crise.

Mirebalais et Saut-d’Eau meurent à petit feu, victimes de l’indifférence, de la violence et de l’abandon. L’État reste muet, ou du moins sourd aux cris d’alarme d’un peuple à bout de souffle.

Ces deux bastions, autrefois réputés pour leur quiétude et leur potentiel touristique, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.

Et la spirale de la violence ne s’arrête pas là. Ce qui se joue dans le Centre reflète la décomposition sécuritaire à l’échelle nationale. Dans l’Ouest, les gangs poursuivent leur avancée meurtrière. À Kenscoff, Carrefour-Feuilles ou en plein cœur de Port-au-Prince, les habitants vivent un quotidien d’angoisse. À Kenscoff seulement, plus de 260 morts et une soixantaine de blessés ont été recensés depuis le 27 janvier, selon un rapport du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).

Face à ce carnage, les forces de l’ordre haïtiennes et la mission multinationale dirigée par le Kenya — présente dans le pays depuis juin 2024 — peinent à rassurer une population abandonnée.

Voilà désormais plus de 11 mois que ce gouvernement de transition de neuf membres à la présidence est en place, avec pour feuille de route le rétablissement de la sécurité et l’organisation d’élections. Mais les chiffres traduisent un échec cuisant : territoires entiers tombés sous le joug des gangs, explosion du nombre de déplacés, effondrement des services de base.

Pendant que le pays s’effondre, les promesses s’accumulent. Mais sur le terrain, la réalité est implacable : la misère avance, les déplacés se multiplient, et le silence des institutions fait écho à la détresse d’un peuple en quête de répit.

Wideberlin SENEXANT

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