PubGazetteHaiti202005

Jomo, donne-nous la force et le courage de regarder tes assassins droit dans les yeux

Renald Lubérice


In extenso

Par Renald Lubérice

Cap-Haïtien, le 23 juillet 2021

Jomo,
Tu nous as enseignés le sens du don de soi, le sens du courage. Nous te devons une éternelle
reconnaissance.
Tu as révélé ce que tout le monde cherchait à nous cacher. On nous avait fait croire que le
problème d’Haïti était politique. Tu nous as montrés que le problème d’Haïti est économique.
Rien qu’économique.
Tu voulais créer le pôle économique du Grand Nord, avec banque régionale, port et aéroport.
Tu voulais en faire autant dans le Grand Sud. Tu te mettais souvent en colère contre toi-même,
par ton impuissance à faire comprendre à toutes les personnes qui te ressemblent
socialement que le développement d’Haïti passera par le développement de « l’arrière-pays ».

L’entreprenariat en est la clef. Le métier d’ouvrier politique ou de « restavèk » au service de
l’oligarchie corrompue concourt à ruiner le pays, à appauvrir le peuple.
Nous étions convaincus que tous les politiciens Noirs étaient les « restavèk » du petit groupe
de mulâtro-syro-libanais qui domine notre économie, sur la base de l’exclusion, de la
criminalité et de l’endogamie socio-raciale. Tu nous as montrés qu’il y avait des exceptions,
au moins toi.
Mais pour cela, tu savais qu’il y avait un prix à payer : celui de ta vie, le sacrifice de ton corps.
Tu n’avais pas peur.
Tu savais qu’on allait s’en prendre à ton corps, peut-être pas de cette façon. Tu disais que tu
allais tout faire, tout donner pour le peuple. Que tes ennemis mécontents préparent ta cellule
pour t’enfermer à la fin du quinquennat, nous disais-tu ! Pourvu que tes idéaux de
développement d’Haïti fleurissent, tu te moquais du devenir de ton corps. “Luberice, yo te
mèt prepare prizon m pou mwen. Lè m soti Palè nasyonal, yo mèt tou fèmen m. Pa gen moun
k ap ka anpeche m chache ‘‘Tirès’’ la pote bay bay pèp la. Pa gen moun k ap fè m kwè lòt
bagay : wout, dlo ak kouran se baz devlopman.”
Tu es impayable. Tu nous as montrés le chemin. A nous de te suivre, ou de continuer de faire
les « restavèk » du petit groupe mulâtro-syro-libanais, soit à la radio, soit à la banque, soit au
parlement, soit dans les institutions publiques en général. Les « restavèk » exercent toute
sorte de profession : les métiers du droit (juges, avocats, etc.), politiciens (parlementaires et
membres de l’exécutif), banquiers (agents de crédit, conseil d’administration, directeurs de
succursale), douaniers, les métiers de la communication, etc. Tous ont pour mission de faire
perpétuer la domination du petit groupe mulâtro-syro-libanais au détriment de la majorité
des Haïtiens. Les esclaves de maison sont-ils des esclaves ? La domination mulâtro-syro-
libanaise est possible parce que leurs agents ce sont des gens comme vous et moi, parce quenous acceptons de les servir comme groupe, comme classe sociale spécifique, parce que nous
croyons en leur supériorité morale, sociale et économique.
Jomo,
Toi, tu nous as montrés qu’il n’existe en Haïti aucun crime économique, social ou politique qui
n’implique au moins une branche des dominants mulâtro-syro-libanais. Sans les dominants,
aucun crime économique, social et politique n’est possible. Tu nous as appris à combattre ce
qu’ils représentent en terme de criminalité, d’exclusion et d’endogamie socio-raciale. Tu nous
as aussi appris à les respecter comme être humain. Tu as donné l’exemple : combattre ce qu’ils
représentent, ne pas s’en prendre à eux physiquement, respecter leur corps, respecter leur
humanité. Mais ils n’ont pas su respecter le tien.
Rien ne prédestine un petit mulâtro-syro-libanais à être dominant sinon l’acceptation d’être
« restavèk » des éléments Noirs de la classe moyenne.
Président Jovenel Moïse,
Je ne connais aucun Haïtien aussi passionné d’Haïti que toi. Quand tu me parlais de
développement d’Haïti, tes yeux étincelaient. Tu es une étoile sortie des ténèbres.
Je comprends pourquoi tu avais choisi de ne jamais abandonner cette terre. Tu connais tous
les recoins de notre pays, chaque rivière et son débit, chaque cime et sa hauteur, chaque
plaine et sa superficie, chaque minerai et sa dimension. Tu connais aussi notre histoire, nos
turpitudes, nos bravoures, les prédateurs et les fossoyeurs de la nation. Tu as été et restera
une véritable encyclopédie.
J’aimerais te dire personnellement merci de nous avoir enseignés que pour ne pas mourir il
faut émanciper nos esprits. Merci de nous avoir enseignés que pour ne pas mourir il nous faut
avoir des idées et des idéaux. Toi, tu ne mourras jamais parce que tu en as.
Motivés par la cupidité et l’appât du gain, tes assassins ne sont pas outillés pour assassiner tes
idées. Ils ont assassiné ton caractère. Et ta famille politique y a contribué. Tu le savais, mais tu
as préféré l’indulgence à la vengeance.
C’est parce qu’ils n’ont pas pu t’atteindre dans tes idées qu’ils s’en prennent à ton corps. C’est
parce que ton esprit et ce qui s’en dégage les dépassent qu’ils se sont si longtemps attaqués
à ton origine sociale. La personne que tu es et ce que tu représentes dépassent leur
entendement.
Les assassins continueront à assassiner librement afin de maintenir leur domination,
tant que nous préférons regarder ailleurs de peur de les regarder droit dans les yeux,
comme toi tu as su le faire avec tant d’ardeurs, tant de courage. Ils continueront à
assassiner aussi longtemps que les filles et les fils de la paysannerie, de l’arrière-pays
et des ghettos exerceront le métier de restavèk mulâtro-syro-libanais.
A nous tous, ils détruiront nos corps soit par les armes, soit par la faim et la misère. Donne-
nous simplement la force de continuer à faire vivre tes idées, durant cette vie et
même au-delà.
 

 

 

Renald LUBERICE

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