La junte au pouvoir au Burkina Faso a coupé la diffusion de France 24 sur son territoire, à la suite d'une interview du chef d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), une décision que la chaîne française "déplore vivement".
"En ouvrant ses antennes au premier responsable d'AQMI, France 24 ne fait pas seulement office d'agence de communication pour ces terroristes, pire il offre un espace de légitimation des actions terroristes et des discours de haine véhiculés pour assouvir les visées maléfiques de cette organisation sur le Burkina Faso", indique lundi un communiqué signé du porte-parole du gouvernement Jean-Emmanuel Ouedraogo.
"Le gouvernement a donc décidé en toute responsabilité, et au nom de l'intérêt supérieur de la Nation, de la suspension sine die de la diffusion des programmes de France 24 sur l'ensemble du territoire national", poursuit le texte.
Le signal de la chaîne a été coupé vers 09H00 (GMT et locales) lundi matin, a constaté un journaliste de l'AFP à Ouagadougou.
Le 6 mars, France 24 avait diffusé, à l'occasion d'une chronique en plateau, des réponses écrites d'Abou Obeida Youssef al-Annabi, le chef d'AQMI, à une quinzaine de questions posées par le journaliste de la chaîne française et spécialiste des questions jihadistes, Wassim Nasr.
"Nous estimons que cela participe d'un processus de légitimation du message terroriste et nous connaissons les effets de ce message dans notre pays. Nous ne pouvons pas accepter aujourd'hui qu'un média ouvre ses antennes à ce discours de haine", a déclaré M. Ouedraogo, interrogé par la télévision nationale RTB, lundi midi.
"Nous n'allons pas trembler chaque fois qu'il faudra prendre une décision qui va dans le sens de la restauration de notre territoire. Le gouvernement ne transige pas", a t-il poursuivi.
- "Accusations sans fondement" -
Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères, la France "regrette la décision prise par les autorités burkinabè de suspendre la diffusion de France 24" tout en réaffirmant "son engagement constant et déterminé en faveur de la liberté de la presse".
De son côté, la direction de France 24 déplore cette décision dans un communiqué et "conteste les accusations sans fondement qui mettent en cause le professionnalisme de la chaîne", s'indignant "des propos outranciers et diffamatoires du gouvernement burkinabè".
Celle-ci précise ne pas avoir donné la parole au chef d’AQMI directement mais au travers d’une "chronique" qui permettait d’offrir "la distanciation et la contextualisation nécessaires", et de confirmer "pour la première fois" que l'otage français Olivier Dubois "libéré depuis, était retenu par AQMI".
Début décembre, la junte au pouvoir à Ouagadougou avait déjà suspendu la diffusion de Radio France Internationale (RFI), du même groupe que France 24, France Médias Monde.
RFI était notamment accusée d'avoir relayé "un message d'intimidation" attribué à un "chef terroriste".
"La crise sécuritaire que traverse le pays ne doit pas être un prétexte pour museler les médias et empêcher les journalistes de la couvrir en toute responsabilité et indépendance", a de son côté réagi Reporters sans frontières (RSF), qui appelle également "les autorités à revenir sur leur décision".
- Comme au Mali -
Depuis un an, RFI et France 24 sont aussi suspendues au Mali, également gouverné par une junte militaire.
Les deux médias, qui couvrent de près l'actualité africaine, sont très suivis dans toute l'Afrique francophone. France 24 a indiqué lundi être suivie au Burkina Faso "par un tiers de la population chaque semaine et plus de 60% des cadres et dirigeants".
Depuis 2015, le Burkina est pris dans une spirale de violences perpétrées par des groupes jihadistes liés à l'Etat islamique et à Al-Qaïda, qui ont fait en tout 10.000 morts - civils et militaires - selon des ONG, et quelque deux millions de déplacés.
Le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir par un putsch il y a six mois, avait fait part en février de sa "détermination intacte" à combattre les jihadistes, malgré la multiplication des attaques.
Les relations entre la France et le Burkina se sont dégradées depuis l'arrivée au pouvoir du capitaine Traoré.
En janvier, les autorités de Ouagadougou ont exigé et obtenu le départ de la force française Sabre, un contingent de 400 forces spéciales pour la lutte andijihadiste au Sahel. Elles avaient également demandé le départ de l'ambassadeur de France, Luc Hallade, qui a été rappelé à Paris pour des "consultations" et n'a toujours pas été remplacé.
Enfin, début mars, le Burkina a dénoncé un accord d'assistance militaire signé en 1961 avec la France.
Avec TV5 Monde
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